Florilège d'anecdotes

Marie Reynoard, l'histoire d'une vie, l'histoire d'un combat

Publié le lundi 17 juillet 2017 12:07 - Mis à jour le lundi 17 juillet 2017 12:07
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Marie Reynoard (ancienne professeure du lycée Stendhal)

Au mois de janvier 1945 à Ravensbrück, on ne connait pas la date exacte, s’éteignait Marie Reynoard après une horrible agonie comme en témoignèrent ses camarades du block 15. Là s’arrêtait le parcours, à deux pas de la liberté, de cette résistante exemplaire.

Née à Bastia en 1897, fille d’un professeur d’histoire qu’elle admirait énormément, elle avait souffert, pendant sa jeunesse, de la première guerre mondiale. Suivant les traces de son père, elle avait entrepris avec passion des études, réussissant le difficile concours de l’Ecole Normale Supérieure. Agrégée de lettres en 1921, elle occupe plusieurs postes : Cahors, Aix puis Marseille. Sa santé est fragile, elle fait plusieurs séjours en sanatorium. En 1936, elle arrive dans notre établissement, alors le « Lycée des jeunes filles » de Grenoble. De nombreuses Grenobloises se souviennent de Mademoiselle Reynoard, de « son lourd chignon noir impressionnant » ; de sa voix captivante, de son indulgence, de l’audace de son enseignement aussi. N’osait-elle pas parler à ses élèves de terminale d’auteurs contemporains, Giono, Ramuz. Son amie, la Surveillante Générale du Lycée, Madame Caty, disait : « Son enseignement était en avance pour l’époque ». Cette liberté d’esprit, cette ouverture au monde, perceptibles dans ses cours, ne pouvaient la laisser indifférente aux événements qui bouleversaient l’Europe. Marie Reynoard les manifesta d’abord en s’intéressant au « Club Chopin » qui réunissait des réfugiés polonais.

1939, c’est la guerre, puis la capitulation. Madame Caty racontait avoir entendu avec elle l’Appel du Général de Gaulle, elle aurait dit alors, « Je ne connais pas cet homme mais il continue la lutte… ». En effet, cet être fragile n’aimait rien tant que la liberté. Comment aurait-elle pu rester frileusement réduite à des tâches rituelles, elle qui n’avait jamais apporté le moindre intérêt au confort ni au conformisme quotidiens ? Le hasard voulut qu’elle rencontrât Henri Frénay, dirigeant du Mouvement de Libération Nationale. L’histoire de la résistante Marie Reynoard commence alors : formation du Mouvement Combat dans son appartement de la rue Fourier, activité inlassable sous le pseudonyme de Claude. Mais nous sommes dans le Lycée où elle enseignait et un instant nous pouvons l’imaginer, en ces jours de 1941-1942, montant l’escalier central, se dirigeant vers sa salle de classe et redevenant pendant quelques heures Mademoiselle Reynoard, que ses élèves trouvaient alors un peu rêveuse… Et ce furent les arrestations : celle de l’été 42 puis celle de la rentrée d’octobre, au Lycée. Transférée à Lyon, jugée par le Tribunal Militaire, Marie Reynoard fut relâchée pour raisons de santé mais radiée de son poste de professeur en décembre. Elle n’abandonne pas la lutte pour autant mais ne reparaît pas à Grenoble sinon une nuit pour venir voir au Lycée son amie Madame Caty, début 43. Ses cheveux sont devenus gris… A Toulouse, à Lyon, sans ressources, inlassablement, elle poursuit son combat, jusqu’à ce qu’elle tombe dans un piège tendu à Lyon, en juin 43. Elle a encore changé d’identité, elle s’appelle maintenant Claire Grasset : c’est sous ce nom qu’elle partira pour Ravensbrück en février 44, après avoir connu les prisons de Montluc et de Compiègne.

Cette femme que la police de Vichy jugeait « peu dangereuse parce que tuberculeuse », ce sont les termes du rapport, aura encore la force de résister près d’un an dans l’enfer du camp. Un an à forcer l’admiration de ses camarades de déportation qui exaltèrent son courage, qui gardèrent en mémoire, elles aussi, comme ses élèves, sa voix prenante leur contant Tristan et Yseut, et qui racontèrent sa mort atroce après la morsure d’un chien.

L’héroïsme de Marie Reynoard n’avait d’égal que sa modestie, et l’on peut se demander si la Légion d’Honneur qui lui fut attribuée à titre posthume, le rappel de son action par ses amis, par tous ceux qui se sont attachés à garder sa mémoire ne l’auraient pas gênée. Evoquant cela, une de ses amies disait : « il me semble la voir sourire ».

Nous pensons, nous, que le lycée qui eut l’honneur de la compter au nombre de ses enseignants, lui doit bien cet hommage. Marie Reynoard a ici même ouvert les esprits de ses élèves, leur a enseigné les valeurs auxquelles elle croyait ; ces valeurs elle les a aimées jusqu’à en mourir. Pour un enseignant n’est-il pas de plus bel hommage que celui que lui rendait une de ses collègues : « sa vie même fut un exemple ».

Andrée LANCHA, professeur honoraire de Lettres