Florilège d'anecdotes

Marie Reynoard, une combattante de l’ombre

Publié le lundi 17 juillet 2017 12:06 - Mis à jour le lundi 17 juillet 2017 12:06
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La conférence  aux Archives le 31 mars 2012 a été l’occasion de revenir sur la vie d’une grande figure de la Résistance grenobloise. L’auditoire nombreux a beaucoup apprécié la présence de plusieurs résistants dont Roger Collomb, son agent de liaison, qui m’avait fait l’amitié d’être des nôtres.

Cette enseignante agrégée de lettres et nommée au lycée de jeunes filles de Grenoble en 1936, laisse à ses proches et à ses élèves un souvenir inoubliable. Née à Bastia en 1897, elle noue de solides amitiés au gré de ses nominations. Sa santé fragile contraste avec sa force de caractère et son charisme. Elle sait fasciner son entourage par ses récits lumineux dans son appartement du 4 rue Fourier à Grenoble. Au lycée, ses méthodes pédagogiques d’avant-garde, selon Madame Caty, son amie surveillante générale, ne sont guère appréciées de l’administration mais enchantent ses élèves. Lorsque la guerre éclate, elle crée les comités Chopin pour accueillir les réfugiés polonais. Dès l’appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, elle devient un membre très actif du groupe Vérité, distribuant tracts et journaux. C’est dans son appartement que le 28 novembre 1941, Henri Frénay et François de Menthon fondent le mouvement de Résistance Combat, dont Marie Reynoard devient le chef départemental. Grenoble est encore en zone libre. Dès lors elle mène une double vie. Au lycée elle est Mademoiselle Reynoard, « à l’élégance discrète, son lourd chignon et ses bandeaux de cheveux noirs encadrant son beau visage de Joconde » selon Pierre Fugain. Dans la Résistance elle prend successivement les pseudonymes de Claude, Marguerite Rousseau et Claire Grasset. Elle est à la tête d’un groupe de jeunes lycéens, étudiants et ouvriers, refusant la défaite et ayant choisi l’action clandestine.

Malgré ses  graves problèmes de santé, elle rédige des tracts, des articles pour le journal  Combat, organise des conférences, récupère au Comptoir Lyonnais, 65 avenue Alsace-Lorraine des enveloppes blanches venues de Lyon contenant de précieuses instructions et fait en sorte que les opposants au régime de Vichy puissent rejoindre le maquis. Rapidement ses activités alertent les autorités et la police française l’arrête le 3 octobre 1942, après ses cours au lycée. Le café Collomb est perquisitionné. Elle est suspendue de ses fonctions d’enseignante le 12 octobre 42 et condamnée « pour menées antinationales, détention et distribution de tracts gaullistes et réunions clandestines ». Remise en liberté provisoire pour raison de santé en décembre 42, après 4 mois très pénibles de détention, elle ne peut plus exercer son métier.

Dès lors elle passe dans la clandestinité et part pour Lyon, où séjournent alors Henri Frénay, « le Patron de Combat » et Berty Albrecht, sa compagne résistante elle aussi. Combat se structure en un mouvement très efficace. Le danger est extrême, la ville étant occupée par les nazis. Elle devient alors secrétaire de Résistance-Fer, une branche de Combat qui se développe dans le cadre  du Noyautage des Administrations Publiques (NAP) et dont le siège se trouve 14 rue d’Enghien. Il s’agit de convaincre les cheminots de participer activement à la lutte contre l’occupant. Elle travaille alors sous les ordres de Hardy, qui dirige Résistance-Fer. Elle effectue des voyages fréquents à Marseille et Aix en Provence où elle a déjà enseigné et certainement gardé des contacts. Henry Frénay précise dans  La Nuit finira que «dévouée corps et âme à notre cause, elle ira jusqu’à participer elle-même à des opérations de nos groupes francs ».

Mais les nazis intensifient la répression, aidés par la trahison de Multon/Lunel en mars 1943 qui donne les adresses de boîtes aux lettres où les résistants récupèrent les messages. Elle est arrêtée chez Madame Dumoulin, 14 rue Bouteille, le 25 ou 26 mai 43. D’autres arrestations suivent : Berty Albrecht le 27 mai, le Général Delestraint le 9 juin, Jean Moulin et  Raymond Aubrac à Caluire le 21 juin. Elle est livrée à Klaus Barbie, mais elle ne parle pas ! Incarcérée à la prison de Montluc dans des conditions atroces jusqu’en novembre 43, elle est envoyée au camp de transit de Royallieu à Compiègne et déportée à Ravensbrück en février 1944. Son état de santé se détériore considérablement mais elle soutient ses camarades de bloc en leur racontant Tristan et Iseut. Elle décède dans des conditions tragiques : mordue par un chien lancé contre elle par les SS, ses blessures s’infectent, elle est conduite au Jugendlager où elle refuse de boire la poudre blanche ; elle est achevée par ses gardiennes à coups de gourdin quelques jours avant la libération du camp par les alliés. Ce n’est que récemment que le lien a été fait entre son décès et l’émouvant récit de Germaine Tillon dans son ouvrage « Ravensbrück ».

Lors de la discussion après la conférence, une de ses anciennes élèves  a confié « J’avais l’impression qu’elle ne faisait cours que pour moi » et les résistants présents ont communiqué à l’auditoire leur émotion en découvrant les résultats de mes dernières recherches et des documents inédits.

Notre association ne peut que se réjouir que le nom de Marie Reynoard ait été donné au lycée de Villard-Bonnot en janvier 2006 et que le 28 novembre 2009 une plaque ait été posée au 4 rue Fourier. Grenoble, ville qui a reçu le titre de Compagnon de la Libération, se doit de garder vivant le souvenir de cette grande résistante.

Geneviève VENNEREAU. Vice-présidente de Patrimoine et Développement